Amérique Latine : résister dans la tourmente…

Marco Consolo

(articolo pubblicato sulla Rivista francese FALMAG n° 121, quarto trimestre 2014)

En 2014, dans plusieurs pays d’Amérique Latine, ont eu lieu des élections nationales (Costa Rica, Salvador, Panama, Colombie, Bolivie, Brésil, Uruguay), ou régionales et locales (Équateur, Pérou). Au Honduras et au Chili,  de nouveaux gouvernements ont pris leurs fonctions. On peut maintenant esquisser un premier bilan ….

La persistance du cycle politique progressiste

Tout en perdant des voix, les partis de gauche et de centre-gauche ont gagné les élections présidentielles au Salvador, en Bolivie, au Brésil et en Uruguay, montrant ainsi la persistance du cycle politique progressiste. Au Chili, le gouvernement de Michèle Bachelet (en fonction depuis mars) est en difficulté face aux attaques d’une droite arrogante et impunie, bien que divisée.

En Équateur, le gouvernement progressiste de Rafael Correa a souffert d’un revers lors des élections municipales de février dernier. Son parti, Alianza País, a perdu la capitale, Quito, et d’autres villes importantes comme Guayaquil et Cuenca. Au Pérou, le centre gauche a également perdu la capitale, Lima.

L’offensive conservatrice et le rôle des médias

La droite reste au pouvoir au Honduras, au Mexique, en Colombie et à Panama. Elle se renforce au Brésil et au Venezuela, tout en restant minoritaire. En Argentine, elle se prépare au combat, dans un scénario encore confus, pour l’élection présidentielle de 2015.

Comme le disait le président d’Équateur Rafael Correa, «nous n’avons pas encore réussi à établir la prédominance du pouvoir populaire sur l’élite, et on assiste à une reconstitution des forces de droite (…) articulées au niveau international par une stratégie de pouvoir» qui profite «de la complicité de la presse nationale et internationale et des pays hégémoniques». A l’évidence, nous sommes face à une tentative de “restauration conservatrice”.

La droite relève la tête et, après des années de défaites, cherche le soutien populaire en adoptant un discours favorable aux mesures sociales et en promettant “plus et mieux”. Elle se présente comme une alternative contre “l’étatisme”, “le populisme” et la corruption. Elle cherche à conquérir une nouvelle base au sein de la population qui a profité des réformes politiques et sociales, en accédant au travail, à l’éducation, à la santé et à un meilleur pouvoir d’achat. Elle s’appuie sur le contrôle des grands groupes médiatiques pour rétablir son hégémonie. Au Venezuela, en Argentine et en Équateur le secteur des médias a été reformé, tandis qu’au Chili, Uruguay et Brésil, cela n’a pas été possible et la campagne électorale y a été très agressive. Comme le rappelle Aram Aharonian [1], « lors des trois mandats du Parti des Travailleurs (PT) au Brésil et des deux du Frente Amplio en Uruguay, on n’a pas réussi à voter de loi qui réforme les médias et soit capable d’en briser l’oligopole».

La place des États-Unis    

Après les élections de mi-mandat aux USA, Obama a devant lui deux ans de gouvernement dans des conditions difficiles: après la Chambre, les démocrates ont perdu le contrôle du Sénat et le Congrès républicain ne va pas rater une occasion de lui mettre des bâtons dans les roues. Plusieurs analystes estiment que la politique étrangère des États-Unis deviendra encore plus vacillante et que les “faucons” républicains augmenteront leur pouvoir.

En ce qui concerne l’Amérique Latine, Obama n’a pas enregistré d’avancée: pendant son mandat, il n’a pas levé le blocus de Cuba, il a maintenu la base de Guantánamo, renforcé l’aide militaire au gouvernement colombien, ouvert de nouvelles bases militaires, réactivé la “quatrième flotte” destinée à contrôler le continent rebelle, et favoriser deux coups d’Etat “institutionnels”, au Paraguay et au Honduras.

Grâce au contrôle des républicains sur le Parlement, les Traités de Libre Commerce (TLC) prendront un nouvel élan, notamment le TTP (Trans-Pacific Partnertship), le TLC avec la zone du Pacifique et le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) avec l’Europe. Du point de vue des républicains, le TLC du Pacifique est aussi un moyen de “contenir” la Chine, qui mène une offensive diplomatique, politique et commerciale tous azimuts dans ” l’arrière-cour” des États Unis.

Il ne fait aucun doute que ce glissement à droite, accompagné d’un nouveau protagonisme des “faucons” républicains, est une très mauvaise nouvelle pour les processus de transformation au sud du Río Bravo.

La pression des pouvoirs financiers

Les multinationales, de leur coté, ne restent pas à l’écart; depuis la défaite en 2005 du projet étasunien de la ZLEA (Zone de Libre Echange des Amériques[2]), elles poussent à la signature des TLC, véritables “mini-ZLEA”. Elles utilisent les tribunaux internationaux pour défendre leurs intérêts et exercent des pressions pour se positionner dans la sphère des services. L’accrochage du gouvernement argentin avec les détenteurs des “fonds vautour” est l’occasion de remettre en cause la structure et le pouvoir de la finance, les choix économiques et le rôle du dollar en tant que devise souveraine mondiale. Cette occasion ne peut être saisie qu’en organisant une mobilisation politique mondiale et en créant des outils concrets tels que la banque des BRICs ou la Banque du Sud, qui peinent à se concrétiser.

D’autres éléments s’ajoutent à ce panorama: les dévaluations exigées par les secteurs exportateurs, les négociations avec les investisseurs (en premier lieu la Chine et la Russie) qui s’intéressent aux matières premières, aux zones stratégiques et aux infrastructures, la menace de l’extrême droite, de plus en plus liée au trafic des drogues et au paramilitarisme, et le rôle très flou des Forces Armées.

Un premier bilan

Le bilan du cycle politique latino-américain des dix dernières années est riche d’enseignements non seulement sur le continent, mais aussi au niveau mondial. Pendant la période, l’Amérique Latine a représenté un laboratoire d’alternatives “de gauche” au néolibéralisme: elle a redoré le blason de l’idée de socialisme (du XXIème siècle), inversé les logiques de privatisation, amélioré les droits de l’homme, réduit la dette, renforcé l’inclusion sociale, créé de zones d’intégration telles que l’ALBA, la CELAC et l’UNASUR, rendu leur protagonisme aux peuples autochtones.

La défaite de la droite prouve que ce cycle politique progressiste résiste et que les tentatives des classes néolibérales dominantes de reprendre le contrôle politique direct ont échoué. Les institutions publiques sont consolidées grâce aux luttes qui ont contrecarré le consensus néolibéral des années 80 et 90.

Mais la droite se restructure en utilisant la pression des marchés, qui poussent pour définir les orientations politiques du prochain cycle. Les gouvernements doivent également compter avec une nouvelle structure de classe des sociétés sud-américaines. On note en effet l’émergence d’une “couche moyenne” (définition approximative d’une réalité contrastée), la massification des consommations et la persistance de larges bandes de pauvreté[3], autant d’éléments qui remettent au centre de l’attention le thème de la “sécurité”, pièce maîtresse du programme de la droite.

Vers un nouveau modèle de développement?

Dans plusieurs pays de la région, les gouvernements visent à maintenir le cycle politique “progressiste” fondé sur la continuité du modèle “néo-développementiste” et “néo-extractiviste”. Un sujet complexe, qui ne peut se contenter d’une analyse superficielle.

Ce modèle repose sur la renégociation des conditions pour intégrer le marché capitaliste mondial en tant que fournisseurs de matières premières (soja, céréales et industries extractives) afin de garantir les fonds nécessaires aux politiques d’inclusion sociale et de permettre aux États de mener un rôle plus actif.

Les états latino-américains auraient intérêt à inscrire dans leurs priorités la diversification productive et commerciale, afin d’éviter perte de souveraineté et dépendance à l’exportation. Malheureusement, la discussion sur un nouveau modèle de développement n’a pas la côte auprès des gouvernements progressistes, sensibles au chant des sirènes du “développementisme”. De plus, les prêts chinois renforcent les activités d’extraction et la monoculture du soja. Les éventuels changements du modèle économique chinois constituent donc un enjeu vital pour de nombreux pays dont la Chine est le premier partenaire commercial.

Ce modèle de développement  laisse prévoir des scénarios  d’exclusion politique et de violence sociale, avec des conséquences sur tous les pays, que leurs gouvernements soient “progressistes” ou conservateurs. Parmi les mobilisations des cinq dernières années, il faut remarquer celles pour la défense des ressources naturelles [4]. Le cas mexicain est sans doute le plus emblématique, mais la Colombie, le Honduras et le Pérou sont autant d’exemples du recours à la “stratégie de la terreur” dans la gestion des conflits sociaux et environnementaux.

L’Amérique Latine, tout comme le reste de la planète, a besoin de trouver son chemin vers la défense de l’environnement. Mais par ailleurs, elle doit trouver les ressources à même de satisfaire les besoins de base (et plus) et de réduire les énormes inégalités avec les économies “développées”. Un défi loin d’être simple !

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[2] FTAA en anglais, ALCA en espagnol (NdT).

[3] Selon la FAO en Amérique Latine il y a encore 37 millions de personnes affamées, 164 millions de pauvres et 69 millions d’indigents http://ilmanifesto.info/search/alla+fao+c%27%C3%A8+chi+ha+fame).

[4] Au cours de la seule année 2012, il y a eu sur le continent 184 conflits de ce type (Svampa 2013; Bruckmann 2012).